Alfa Romeo 6C 1750 Gran Sport Spider 1931
Née gagnante
Lors des Interclassics de cette année à Maastricht, aux Pays-Bas, un magnifique exemplaire de la légendaire Alfa Romeo 6C Gran Sport de 1931 a volé la vedette. Carrossée par Zagato, cette noble voiture de sport qui a appartenu à Phill Hill, serait proposée aux enchères par Sotheby's quelques semaines plus tard à Rétromobile Paris. Il nous restait peu de temps pour essayer ce prestigieux pur-sang…
Dès les débuts d’Alfa Romeo, les voitures milanaises se distinguent par leur ingéniosité technique et leur solidité, les plaçant d’emblée parmi les plus grands constructeurs de l'industrie automobile. Pourtant, il faut attendre l'arrivée du brillant ingénieur Vittorio Jano, en 1924, pour assister à leur véritable percée. En 1926, il met au point la NR (Nicola Romeo), une voiture légère à la pointe de la technologie, qui sera commercialisée sous le nom de 6C 1500 Normale.
Le moteur en particulier était une prouesse de technologie de pointe rarement vue dans le secteur automobile jusqu'alors. Ce six cylindres était déjà doté d'un arbre à cames en tête, entraînant un arbre de transmission qui permettait de maintenir sans problème des vitesses élevées. Au fil des années, de nombreuses variantes en ont été développées, y compris des versions sportives. Malgré leur petit moteur d'un litre et demi à l'origine, elles ont défié dans les compétitions internationales les Bugatti plutôt fragiles, les grosses Bentley et les Mercedes avec leurs moteurs de 7 litres suralimentés.
... dès les débuts d’Alfa Romeo, les voitures milanaises se distinguent par leur ingéniosité technique et leur solidité, les plaçant d’emblée parmi les plus grands constructeurs de l'industrie automobile ...
Les Alfa ne se sont pas seulement révélées extrêmement efficaces et rapides grâce à leur construction moderne et compacte pour l'époque. Elles se sont également avérées extrêmement fiables, une caractéristique particulièrement utile lors des courses d'endurance internationales. Des qualités que le milieu de la course automobile n'a pas tardé à découvrir. Les pilotes les plus légendaires, dont Tazio Nuvolari et Enzo Ferrari, lui-même encore pilote à l'époque, se présentaient souvent au départ au volant d’une 6C. Inévitablement, les victoires se succèdent. Petite sélection du livre d'or de cette Alfa : trois Mille Miglia, le Tourist Trophy, le Brooklands Double Twelve, le Grand Prix d'Irlande, le Giro di Sicilia et les 12 Heures de San Sebastian. Lors de cette dernière, l'Alfa 6C 1750 SS victorieuse pilotée par Varzi-Zehender en 1929 s'est avérée plus rapide que Louis Chiron et sa Bugatti Type 35B - qui avait pourtant remporté le Grand Prix d'Espagne qui s’était déroulé la veille au même endroit.
A partir de 1928, les 6C dominent les 24 heures de Spa ; la concurrence se décourage. En 1929 et 1930, les Alfas trustent les trois plus hautes marches du podium. D'autres victoires suivent. En 1931, une 6C Gran Sport établit une série de records du monde sur le circuit de Monthléry, près de Paris, qui se maintiendront longtemps. La même année, Alfa présente sa grande sœur, la 8C 2300. Progressivement, le huit cylindres, plus puissant, supplante la 6C. Au milieu des années 1930, elle prend sa retraite, en pouvant légitimement se targuer d'une merveilleuse carrière.
L'impressionnant palmarès de l'Alfa 6C l'a élevée au rang de monument du monde automobile, une image qui a su résister à l'épreuve du temps. Cette légendaire milanaise a donc toujours suscité un intérêt particulier. Même dans les années 1950 et 60, alors que personne ne pensait encore à collectionner les anciennes voitures de sport, les 6C sont restées très prisées. Bien qu'elle ait été préservée très tôt, une 6C reste rare aujourd'hui. À l'époque, il s'agissait d'une voiture très exclusive réservée à l'élite. Les gens optaient généralement pour la berline plus classique, la « Turismo ». Les modèles sportifs, plus coûteux, étaient évidemment moins vendus. Au total, une soixantaine de 6C 1750 Super Sport ont quitté les portes de l'usine de Portello, sur un total de 257 exemplaires de la 6C Gran Sport construits. Parmi ceux-ci, les modèles spécialement préparés pour la course avec un moteur muni d’une tête fixe (testa fissa) sont extrêmement rares.
De fait, l’on rencontre de moins en moins d'authentiques 6C, surtout les versions sportives tant convoitées. Au fil des ans, nombre d'entre elles ont subi de maladroites restaurations qui ont fait disparaître une grande partie de leur caractère. En revanche, la 6C Gran Sport proposée par Sotheby's à Rétromobile se distingue par son état unique. La belle patine de cette élégante italienne apporte une touche supplémentaire d'authenticité. La carrosserie construite par la Carrozzeria Zagato n'est pas la seule à être un vrai régal pour les yeux. Le moteur, lui aussi se pose en véritable œuvre d'art métallique. Des recherches plus approfondies révèlent que cette Gran Sport a vu le jour en 1931.
Des documents détaillés démontrent qu'elle a été vendue en Suisse à la fin de l’automne de la même année. Le propriétaire de l'époque a conservé son Alfa pendant de nombreuses années. Pendant la Seconde Guerre mondiale, cette 6C a été cachée derrière un mur pour éviter qu'elle ne tombe entre de mauvaises mains. Ce n'est que 20 ans après qu’elle est réapparue, lorsque la veuve du propriétaire a vendu la maison. La 6C aurait alors été cédée à un officier américain vivant à Genève. La belle italienne a ensuite déménagé aux États-Unis et, selon Sotheby's, été vendue à l'ancien champion du monde Phil Hill. Ce dernier l'a possédée jusqu'en 1988.
Il y a eu quelques années, j’avais eu l'honneur de faire un tour dans l’Alfa Romeo 6C 1750 SS de 1929 ex Luigi Chinetti, une expérience qui m’avait fait très forte impression. Raison de plus de se réjouir de prendre le volant de cette 6C Gran Sport, le modèle qui lui a succédé: pour l’essentiel, la Gran Sport a été développée à partir de la SS. Voilà de quoi susciter de fortes attentes… Une fois assis derrière le grand volant situé à droite, la facilité d'utilisation de cette voiture de sport vieille de 94 ans qui frappe d’emblée. Contrairement à certaines autos contemporaines où il faut se tortiller dans tous les sens pour trouver une position confortable, l’on dispose ici de tout l'espace nécessaire. Le tableau de bord est très complet et offre une vue d'ensemble claire sur les instruments. Le levier de vitesse est situé à gauche du volant, le frein à main à sa droite.
Avant de démarrer le moteur, il est préférable de compléter le niveau de carburant dans la chambre à flotteur du double carburateur à l'aide d'une pompe à main. Il suffit ensuite d'appuyer sur le bouton de démarrage pour réveiller le six cylindres, qui s’ébroue au quart de tour. Bien sûr, il est préférable de laisser le moteur se réchauffer pendant un certain temps avant de prendre la route, d’autant plus que la température était proche de zéro lors de notre essai. Jusque là, tout semble assez normal et proche de ce que nous connaissons encore aujourd'hui sur les voitures contemporaines. Ça se corse : il va falloir composer avec la disposition des pédales. La position du frein et de l'accélérateur sont inversées afin favoriser la technique du talon-pointe. Cela devait permettre à un pilote expérimenté d'appuyer plus facilement sur l'accélérateur pendant les rétrogradages, ce qui est nécessaire pour passer les vitesses non synchronisées. Un exercice habituel à l'époque qui demande cependant de la pratique et une attention particulière. Même en ne se livrant pas à cette gymnastique, je dois reconnaître que la boîte à quatre rapports passe malgré tout les vitesses avec beaucoup de douceur. Au plancher se trouve une grille métallique dont s’élève le pommeau de vitesses, semblable à celle que l'on trouvait jusqu'à récemment sur les Ferrari. Elle aide à passer plus facilement le rapport souhaité. Une fois le coup de main pris, les vitesses s’engagent aisément.
En somme, la 6C se laisse conduire avec une facilité incroyable pour une voiture de ce calibre et de cet âge. L'équilibre général de la Gran Sport défie l’imagination, sa tenue de route en virage s’apparentant à une voiture moderne. Un contraste saisissant avec les autres bolides de l'époque ! Bien sûr, les freins nécessitent quelques ajustements, mais au final, tout est bien réglé sur cette supercar avant la lettre. Cette Alfa se conduit avec une remarquable légèreté malgré l'absence d'une quelconque direction assistée. Le moteur fait preuve d'une souplesse inédite, dans un soufflement de compresseur. Au fur et à mesure que la voiture monte en température, elle devient de plus en plus douce. Malheureusement, mon temps imparti à son volant est vite écoulé et il a fallu ramener la Milanaise à son écurie. Mais quel immense plaisir que d’apprécier les capacités exceptionnelles de la 6C Gran Sport. L’Alfa avait techniquement plusieurs années d'avance sur ses contemporaines.
Quelques jours plus tard, cette Alfa Romeo 6C 1750 Gran Sport Spider de 1931 carrossée par Zagato a été vendue aux enchères par RM Sotheby's à Paris pour la somme de € 1’833’125. Petite note à son acquéreur : participer aux Mille Miglia des voitures historiques avec cette voiture devrait être une sacrée aventure !
Merci à Bodie Hage de Real Art on Wheels, la société spécialisé dans la commerce et l'entretien de voitures classiques et de collection, www.realartonwheels.com.
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